L’enfant de l’ennemi est la réédition d’un ouvrage paru en 1995. Une préface de six pages à cette seconde édition informe qu’en matière de viols, les études universitaires réalisées depuis vingt ans ont concerné la Seconde Guerre mondiale et la Guerre de Yougoslavie. Toutefois s’il est prégnant, le thème du viol n’est pas le sujet du livre. En fait, la question est l’avenir biologique d’enfants ayant un père pas tant violeur qu’ennemi héréditaire avec de lourdes caractéristiques morales selon le discours de la propagande.
L’ouvrage débute avec le récit de l’arrivée devant le juge d’instruction en septembre 1916 de Joséphine Barthélémy alors emprisonnée à Saint-Lazare. Jeune domestique en Meurthe-et-Moselle à Chamblay, elle avait été violée en décembre 1915 par un infirmier allemand d’un hôpital de campagne où elle travaillait. Le 5 janvier 1916, elle est évacuée vers la Suisse parmi d’autres personnes jugées comme bouches inutiles. Une réflexion personnelle nous fait écrire que si elle n’avait pas signalé sa tragique aventure à l’armée allemande, elle n’aurait peut-être pas été portée sur la liste. Elle avait dit ne pas connaître le nom de son agresseur. Elle a tué son nouveau-né à Paris, fait qu’elle nie d’abord (déclarant qu’il est mort-né) ; elle avance ensuite qu’elle se refusait d’avoir un enfant de père boche. Le procès démarre le 23 janvier 1917 devant la cour d’Assises de la Seine et ses enjeux passionnent la presse nationale.
Si dans le cas énoncé plus haut, on est dans un viol commis à un moment où l’occupation est passée dans l’étape de longue durée, par contre nombre de ces attaques à l’honneur des femmes se déroulent lors des premiers jours de guerre et certains historiens ont pu avancer l’idée que lorsqu’ils étaient organisés par un petit groupe de soldats, les viols étaient un élément qui renforçaient le sentiment de solidarité d’hommes qui savaient qu’ils affronteraient ensemble des dangers. L’auteur montre que pour la Guerre de 1870 (guerre courte), les viols relèvent du non-dit ; par contre pour la Première Guerre mondiale, le respect d’une certaine pudeur là-dessus est levé pour au contraire devenir un élément fort de la propagande. La question du devenir des nourrissons se pose pour la société française : autorisation exceptionnelle d’avortement, facilités d’abandon, avenir promis à l’enfant… La nationalité d’autre part n’est pas à discuter pour une époque où le nourrisson né en France est français de droit … Maurice Barrès lance l’idée de la création d’un fonds pour les bâtards du crime.
L’enfant de l’ennemi de Stéphane Audoin-Rouzeau. Flammarion, 2013. 266 pages.