Ce livre d’Eric Viot n’a que 177 pages, il ne coûte que 17 euros, il est très aéré. On ne peut pas dire que ce soit un très joli livre, malgré tout, c’est une perle rare.
A première vue, on se dit : « Quelle idée d’écrire, en 2007, un roman sur la Grande Guerre, comme s’il n’en avait pas été écrit suffisamment comme ça! « . Un roman, oui, c’en est un, écrit à la première personne, mais c’est beaucoup plus que ça. J’oserai même dire que c’est une encyclopédie condensée. Il y a tout dans ce petit bouquin qui ne paie pas de mine. Quand j’écris tout, c’est parce qu’on y retrouve tout ce qu’on a déjà pu lire, soit dans d’autres romans, soit dans des récits, souvenirs, mémoires, témoignages, courriers de poilus, tout ce qu’on a l’habitude de lire sur la guerre de 14-18. Pacifiste, l’auteur a réussi à évoquer en un minimum de phrases tous les aspects de cette abominable guerre. Il nous en a même appris. Tient-il ses connaissances de ses lectures ou des témoignages recueillis auprès d’anciens poilus? Probablement des deux.
Le personnage principal est un instituteur pacifiste, qui va à la guerre à reculons, alors que ses deux meilleurs copains d’école y vont, l’un par patriotisme et pour découvrir les joies de l’artillerie, l’autre pour devenir pilote d’avion, son grand rêve. De ses quatre années de guerre, il ne rapportera pas une égratignure. Physiquement. Mais moralement, il sera très grièvement blessé, d’où le titre du livre. Et le seul remède qu’il trouvera, c’est l’alcool. Dès les premières cuites, il en sera conscient et nous l’expliquera très clairement.
On aurait pu redouter qu’Eric Viot en fasse trop, qu’en voulant tout dire de la guerre il nous laisse des amalgames douteux, qu’ne essayant de réunir tous les arguments pacifistes il aboutisse à un méli-mélo imbuvable. Eh bien non! Son talent est d’avoir su tout doser fort justement, et sa concision exceptionnelle rend ce livre limpide, très agréable à lire, à dévorer comme un polar.
Il me semble que ceux qui auraient encore des illusions sur cette grande boucherie devraient être dessillés par cette lecture. Pour les convaincus que nous sommes, c’est un grand bonheur de retrouver dans ces quelques pages tout ce que nous avons aimé rencontrer dans de nombreux livres, et même du nouveau. Aucun manichéisme, si ce n’est cette opposition déterminée au militarisme, que nous partageons pleinement évidemment. Mais l’auteur nous fait rencontrer toutes sortes de personnages, sans jamais les condamner collectivement. Car s’il nous montre de parfaits salauds, il prend soin de nous montrer aussi des individus de mêmes catégories sociales qui se conduisent bien. Manière de nous persuader que ce n’est pas parce qu’on est fils de député qu’on est forcément un fumier.
Incapable de reprendre l’enseignement après la guerre, l’instituteur se recycle et fonde une famille, sans parvenir à se dégager de l’emprise de l’alcool, seul remède pour son âme. Et, à la fin, c’est son fils qui est mobilisé en 1939, la boucle est bouclée.
(Jean-François Amary, pour Union Pacifiste)
Eric Viot a écrit ce roman après plus de 15 ans de recherches sur la Première Guerre mondiale et notamment sur le quotidien des soldats. Membre de l’association Bretagne 14 18, il a pu lire beaucoup de carnets de Poilus, ainsi que des correspondances afin de s’imprégner au mieux du quotidien de ces hommes. Les blessures de l’âme se veut simple et accessible au plus grand nombre, c’est un roman car il s’agit de personnages de fiction mais tout en restant le plus proche possible de la réalité vécue par les hommes qui ont connu cet enfer.
Les blessures de l’âme, Eric Viot, Société des Ecrivains, dernière édition 2010.