Je me souviens de Ceux de 14 vous propose de redécouvrir l’Hommage à Maurice Genevoix édité en 1981 par le Comité National du Souvenir de Verdun « Une jeunesse éclatée, de La Vaux-Marie aux Eparges », et réalisé par Monsieur Gérard Canini, agrégé de l’Université.
L’association remercie infiniment le Mémorial de Verdun pour son aimable autorisation.
Maurice Genevoix et le souvenir de Verdun. Par le général Guy de CLARENS, Président du Comité National du Souvenir de Verdun
Quarante ans après la fin de la guerre 1914-1918, les Anciens Combattants qui se rendaient en pèlerinage à Verdun étaient profondément déçus.
Le paysage qu’ils découvraient ne ressemblait en rien au champ de bataille qu’ils avaient connu. Les tranchées, les boyaux, les trous d’obus, les forts eux-mêmes disparaissaient sous les broussailles. Le terrain, largement reboisé, présentait un aspect verdoyant et plein de vie là où ils n’avaient connu que la boue et la mort. Plusieurs des monuments qu’ils avaient élevés à la mémoire de leurs frères d’armes et qu’ils pensaient impérissables étaient dans un état d’abandon.
Les touristes qui s’efforçaient de comprendre le déroulement de la bataille ne pouvaient y parvenir.
Les jeunes en regardant ou parcourant le terrain ne pouvaient imaginer les combats et les souffrances de leurs aînés.
C’est alors que naquit, se développa, puis s’imposa la nécessité de redresser cette situation.
La tâche était considérable.
Il s’agissait de construire un « Mémorial », de rechercher les documents, les uniformes, les armes, les matériels utilisés aussi bien par les Français que par les Allemands, et qui étaient voués à une disparition progressive, de les acquérir, de les rassembler, de les présenter, d’assurer leur conservation.
Il s’agissait également à l’aide de cartes, puis d’un système audio-visuel, de retracer l’histoire de la bataille de manière à préparer la visite du champ de bataille.
Il s’agissait enfin, à la lumière d’études approfondies réalisées par d’éminentes personnalités et exposés au cours de Colloques internationaux d’améliorer les connaissances sur les aspects stratégiques, tactiques, logistiques et humains de la bataille de Verdun.
Sur le terrain, il importait d’effectuer de multiples et importants travaux de débroussaillement, de dégager les abords des ouvrages, de tracer des sentiers permettant de parcourir le champ de bataille, d’aménager des aires de repos, d’implanter tout un ensemble de panneaux comportant les renseignements nécessaires. Maurice Genevoix, Président Fondateur du Comité National du Souvenir de Verdun, accepta de patronner ce projet.
Mobilisé en août 1914, il avait combattu dans les rangs du 106è R.I. comme chef de section puis commandant de compagnie jusqu’au 25 avril 1915, date à laquelle il est grièvement blessé aux Éparges.
Au risque de choquer, je dirai que sa conduite au feu, pour exemplaire qu’elle soit, et sa blessure, en dépit de sa gravité, ont été le lot de bien d’autres soldats. Tous ensemble, ils ont en commun d’avoir appartenu à « ce monde du front, monde clos, isolé à un point dont les combattants seuls ont pu sentir la douloureuse réalité ». Ayant vécu cette dure épreuve, c’est en connaissance de cause que Maurice Genevoix peut parler des combattants, de leur vie au front, de leurs souffrances, de leurs sentiments.
Ce qui distingue Maurice Genevoix, c’est sa prodigieuse faculté d’observation, la manière avec laquelle il regarde tout ce qui l’entoure, le don qui lui fait si exactement décrire les hommes et analyser leurs pensées, la simplicité et la clarté du style avec lequel il restitue le décor et les évènements.
La guerre l’a si profondément marqué dans son corps et dans son esprit qu’au lieu de s’arrêter vers la carrière universitaire à laquelle il semblait destiné, il considère comme une obligation d’exprimer ce qu’il a ressenti et c’est à la guerre qu’il consacre ses premiers livres.
Dès lors, une vie nouvelle s’ouvre devant lieu. Elle est jalonnée par une soixantaine d’ouvrages.
C’est aux Éparges que se situe leur origine.
Si la guerre est le thème de ses premiers livres, elle ne cessera d’être présente dans son œuvre, dans son esprit, dans ses propos.
Sa mémoire, si fidèle, n’a rien oublié. Son témoignage garde la fraîcheur des premiers jours. Le souvenir de Verdun, drame de sa vie, ne peut s’effacer. Il le peut d’autant moins qu’une terre abreuvée de tant de sang apparaît comme un lieu privilégié pour bâtir le plus beau des édifices, celui de la réconciliation et de la paix.
A la cérémonie d’inauguration du Mémorial, le 17 septembre 1967, Maurice Genevoix devait dire notamment : « Ceux qui sont là autour de moi, devenus à présent de vieux hommes, restent aussi des survivants. Ce que cela veut dire ?… En cet instant, je vois encore des plaies qui saignent, de jeunes corps qui agonisent. J’entends encore, dans la nuit pluvieuse, leurs plaintes, leurs voix qui crient mon nom, qui m’appellent, car je les aimais bien et ils me le rendaient. Je sens encore dans ma chair même, pareil à tant d’entre nous, l’attention de leurs pas accordés tandis que sous les obus, au sifflement des balles pressées, debout, sans hâte, héroïques, ils m’emportent vers le poste de secours, vers le salut…
Ce Mémorial, pour vous les anciens, c’est aussi cela, n’est-il pas vrai ? Tout homme, au long de son existence, lorsqu’il regarde autour de soi, devrait pouvoir dénombrer sur sa route les compagnons de sa jeunesse, avec lui mûrissant, vieillissant. C’est une des joies de la vie ici-bas, normales et bonnes. Nous autres, à peine sortis de l’adolescence, quand nous nous retournions ainsi, nous ne voyions que des fantômes. Mutilés dans notre corps, mutilés dans nos amitiés. Voilà la guerre. Désormais, derrière nous, il y aura ce Mémorial. Il est aussi, il est encore cela : il nous rend, avec notre passé commun, nos camarades toujours vivants,
« … UNE NOTION DE L’HOMME ».
Nous vous le remettons, Monsieur le Ministre des Anciens Combattants ; et, par vous, à notre pays ; et, par lui aux centaines de milliers d’hommes et de femmes, nos semblables, qui viendront s’y accueillir. Jeunes et vieux, amis, ennemis réconciliés, puissent-ils emporter de ces lieux, au fond d’eux-mêmes, une notion de l’homme qui les soutienne et les assiste ! Quel vivant n’en aurait besoin, en ces temps toujours incertains ? Puisse la lumière qui va veiller ici les guider enfin vers la Paix ! »